Photo : Albert Fourié, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons
L’art de la conversation en danger
Chroniqueuse d’origine belge, Catherine van Offelen est également diplômée de l’Université libre de Bruxelles et de King’s College London.
Dans les colonnes du Figaro, elle rend hommage à « la conversation, cette gloire de l’esprit français ». Elle alerte aussi sur le fait que cet art pourrait bien être en voie de disparition..
Voici quelques extraits de sa tribune.
« Nous entrons dans la période des élections européennes, note-t-elle (...). Jamais plus que dans ces moments de fièvre électoraliste la France ne renoue autant avec l’une de ses grandes passions : l’art de la conversation. Pour une sujette du roi des Belges, cette prédisposition à la joute oratoire, ce chassé-croisé léger d’escarmouches, de pirouettes, de ripostes, à fleuret moucheté ou sabre au clair, est une source d’émerveillement. En France, la salle des débats semble une salle d’armes. »
La chroniqueuse rappelle que « La conversation française est née à la table des princes et des seigneurs. Cette “pulsion parlante”, comme l’appelle Barthes, a culminé au XVIIIe siècle, le plus français de tous. C’est le siècle de l’agréable, des conversations en dentelles, de l’artifice pur. C’est aussi celui des salons littéraires et des femmes d’esprit qui ont infusé du charme dans les raisonnements et de la coquetterie dans les abstractions. À la table du prince, dans la maison des bourgeois ou dans les rues de Paris, la France devint l’immense chambre d’écho de l’art oratoire. (...) »
Chroniqueuse d’origine belge, Catherine van Offelen est également diplômée de l’Université libre de Bruxelles et de King’s College London.
Dans les colonnes du Figaro, elle rend hommage à « la conversation, cette gloire de l’esprit français ». Elle alerte aussi sur le fait que cet art pourrait bien être en voie de disparition..
Voici quelques extraits de sa tribune.
« Nous entrons dans la période des élections européennes, note-t-elle (...). Jamais plus que dans ces moments de fièvre électoraliste la France ne renoue autant avec l’une de ses grandes passions : l’art de la conversation. Pour une sujette du roi des Belges, cette prédisposition à la joute oratoire, ce chassé-croisé léger d’escarmouches, de pirouettes, de ripostes, à fleuret moucheté ou sabre au clair, est une source d’émerveillement. En France, la salle des débats semble une salle d’armes. »
La chroniqueuse rappelle que « La conversation française est née à la table des princes et des seigneurs. Cette “pulsion parlante”, comme l’appelle Barthes, a culminé au XVIIIe siècle, le plus français de tous. C’est le siècle de l’agréable, des conversations en dentelles, de l’artifice pur. C’est aussi celui des salons littéraires et des femmes d’esprit qui ont infusé du charme dans les raisonnements et de la coquetterie dans les abstractions. À la table du prince, dans la maison des bourgeois ou dans les rues de Paris, la France devint l’immense chambre d’écho de l’art oratoire. (...) »
« En France, peu importe ce qui est pensé, du moment que le sujet est débattu, analysé, commenté. Un certain art oratoire français, héritier du beau discours de la cour, de la gaieté du XVIIIe et du tournis logorrhéique révolutionnaire, s’enivre de lui-même. Parfois, le discours n’est que l’écho de lui-même. »
La journaliste poursuit sa belle analyse : « Si le Français a l’art de formuler les choses, c’est que la France a une culture de la forme. Le souci de bien s’exprimer, de disposer les idées, de ne pas estropier la mélodie sont une obsession française. “Le style, c’est l’homme”, écrit Buffon. Le style est l’architecture de la pensée. La France a la clé de cette architecture. Sens des proportions, équilibre, beauté soupesée : le goût français traduit cette passion. La finition est irréprochable. »
« Cette passion du contour (la maxime sur le plan littéraire, le dessin sur le plan de l’esprit) impose une maîtrise, qui est une perfection étroite. Le goût aphoristique a culminé avec les moralistes au XVIIe et au XVIIIe (Chamfort, La Rochefoucauld, Vauvenargues et Rivarol). Leur héritage perdure. Nous adorons les formules. Avec ce recours à la pointe sèche, pas d’envolée ! Seulement la pique. La France enseigne la forme avant le souffle. Son art oratoire ressemble aux jardins de Le Nôtre : taillé, précis, minutieux », souligne-t-elle.
« Pour l’immensité, on se ressourcera à d’autres rives : gravité tragique des romantiques allemands, agitation orageuse des Slaves, folie des grandeurs américaine. (...)Le Français a pallié l’absence d’immensité géographique par l’invention de sa vocation à porter des valeurs universelles. Vivant dans un jardin potager, il fallut qu’il rêve que le monde entier lui ressemblerait. »
>>> A LIRE Des associations pour la sauvegarde de nos calvaires
Et de s'exclamer : « Étrange pays que la France, où l’on préfère la manière de dire la chose à la chose elle-même. Étrange pays où peu importe le sujet du moment qu’on peut en faire le nœud d’un débat. Étrange pays où l’on préférera toujours le désordre de la polémique au repos de l’unanimité ! »
Cependant, et c’est bien malheureux, il faut reconnaître que « la conversation, cette gloire de l’esprit français, recule devant les mœurs utilitaires et surmenées de notre époque. Signe des temps, à l’Assemblée nationale, nous vîmes récemment des élus s’insulter comme des charretiers. Quand l’esprit s’aplatit, le verbe recule. L’illettré s’exprime comme un butor. »
En effet, « Entendre “Ta gueule !” sous les lambris de l’institution où s’élevèrent les discours de 1791-1993 est presque une insulte à l’Histoire. Si la France ne reste plus la gardienne des hérédités classiques, le pays de l’intelligence du verbe et des subtilités ironiques, nous n’aurons plus rien à en apprendre. Qui trouvera la formule de nos lassitudes ? », interroge Catherine van Offelen en guise de conclusion.
« En France, peu importe ce qui est pensé, du moment que le sujet est débattu, analysé, commenté. Un certain art oratoire français, héritier du beau discours de la cour, de la gaieté du XVIIIe et du tournis logorrhéique révolutionnaire, s’enivre de lui-même. Parfois, le discours n’est que l’écho de lui-même. »
La journaliste poursuit sa belle analyse : « Si le Français a l’art de formuler les choses, c’est que la France a une culture de la forme. Le souci de bien s’exprimer, de disposer les idées, de ne pas estropier la mélodie sont une obsession française. “Le style, c’est l’homme”, écrit Buffon. Le style est l’architecture de la pensée. La France a la clé de cette architecture. Sens des proportions, équilibre, beauté soupesée : le goût français traduit cette passion. La finition est irréprochable. »
« Cette passion du contour (la maxime sur le plan littéraire, le dessin sur le plan de l’esprit) impose une maîtrise, qui est une perfection étroite. Le goût aphoristique a culminé avec les moralistes au XVIIe et au XVIIIe (Chamfort, La Rochefoucauld, Vauvenargues et Rivarol). Leur héritage perdure. Nous adorons les formules. Avec ce recours à la pointe sèche, pas d’envolée ! Seulement la pique. La France enseigne la forme avant le souffle. Son art oratoire ressemble aux jardins de Le Nôtre : taillé, précis, minutieux », souligne-t-elle.
« Pour l’immensité, on se ressourcera à d’autres rives : gravité tragique des romantiques allemands, agitation orageuse des Slaves, folie des grandeurs américaine. (...)Le Français a pallié l’absence d’immensité géographique par l’invention de sa vocation à porter des valeurs universelles. Vivant dans un jardin potager, il fallut qu’il rêve que le monde entier lui ressemblerait. »
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Et de s'exclamer : « Étrange pays que la France, où l’on préfère la manière de dire la chose à la chose elle-même. Étrange pays où peu importe le sujet du moment qu’on peut en faire le nœud d’un débat. Étrange pays où l’on préférera toujours le désordre de la polémique au repos de l’unanimité ! »
Cependant, et c’est bien malheureux, il faut reconnaître que « la conversation, cette gloire de l’esprit français, recule devant les mœurs utilitaires et surmenées de notre époque. Signe des temps, à l’Assemblée nationale, nous vîmes récemment des élus s’insulter comme des charretiers. Quand l’esprit s’aplatit, le verbe recule. L’illettré s’exprime comme un butor. »
En effet, « Entendre “Ta gueule !” sous les lambris de l’institution où s’élevèrent les discours de 1791-1993 est presque une insulte à l’Histoire. Si la France ne reste plus la gardienne des hérédités classiques, le pays de l’intelligence du verbe et des subtilités ironiques, nous n’aurons plus rien à en apprendre. Qui trouvera la formule de nos lassitudes ? », interroge Catherine van Offelen en guise de conclusion.
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