Pour Atilio Faoro, la France est devenue un navire sans pilote

Photo prise par Michel Haddad lors de la conférence d'Atilio Faoro sur le livre « La Révolution woke débarque en France » à Creutzwald le 4 septembre 2023.

Pour Atilio Faoro, la France est devenue un navire sans pilote

A l’occasion de la sortie de son ouvrage, “La Révolution woke débarque en France, Atilio Faoro a accordé à Avenir de la Culture un long entretien. Italien de sang et né au Brésil, M. Faoro est chercheur et journaliste indépendant. Il vit en France depuis une trentaine d’années, où il milite au sein d’associations catholiques européennes. Il a contribué à plusieurs publications d’Avenir de la Culture, notamment “La théorie du genre agresse nos enfants” et “La France se réveille”. Atilio Faoro nous livre aujourd’hui en exclusivité ses réflexions sur la situation de notre pays qu’il connaît bien.

Atilio Faoro, le titre de votre ouvrage fait état d’une révolution woke. Que signifie le mot woke et qu’est-ce qui caractérise l’ideologie woke ?

Le terme woke provient du verbe anglais « to wake », réveiller. Un militant woke est une personne qui prétend être « éveillée » face aux injustices, notamment sociales et raciales. Celles-ci peuvent prendre bien des aspects, ce qui explique l’apparente hétérogénéité de ce mouvement. Il est à la fois féministe, décolonialiste, indigéniste, écologiste, antispéciste, en faveur de la cause homosexuelle et transgenre. A priori ces combats ont peu de liens entre eux… En fait, en y regardant de plus près, on voit qu’ils procèdent tous d’une vision marxiste de la société. Tous les rapports humains sont envisagés par les wokistes sous l’angle de la lutte des classes. Tout comme le comunisme du 20e siècle voulait un homme nouveau en sensibilisant les masses aux « injustices » sociales et économiques, le wokisme du 21e siècle veut « éveiller » les « minorités » à toutes les injustices dont elles seraient victimes

La révolution woke suppose donc un nouveau prolétariat ?

Absolument. Ou plutôt de nouveaux prolétariats. Pour eux, toutes les « minorités visibles », les Noirs, les femmes, les homosexuels, les musulmans, les personnes transgenres, les animaux sont victimes de l’oppression, respectivement, des Blancs, des hommes, des hétérosexuels, des chrétiens, des « cisgenres », des humains… Parfois ces oppressions se recoupent. Ainsi une femme noire homosexuelle serait, d’après eux, triplement opprimée : en raison de son sexe, de sa couleur et de son orientation sexuelle. Cette triple oppression appelle une triple lutte. C’est ce qu’ils appellent l’intersectionnalité des luttes.

Cette « oppression institutionnelle » est-elle propre à l’Occident ?

Oui. L’histoire des pays occidentaux – y compris celle de la France – se confond avec l’esclavagisme, le racisme, le colonialisme, le sexisme et l’homophobie. Il faut donc DÉCONSTRUIRE notre société pour que triomphe pleinement l’égalité. L’Occident représente en fait tout ce qu’ils détestent : un monde patriarcal, blanc et chrétien. J’insiste : pour eux, l’histoire de l’Europe se confond avec la colonisation, l’esclavage et le patriarcat. Bien sûr, c’est absurde et totalement faux, mais ces gens n’ont qu’un intérêt très relatif pour la vérité.

Mais s’agit-il véritablement d’une révolution ? Ne devrait-on pas plutôt parler d’un effet de mode ?

Vous savez, ce qui avantage les promoteurs de la révolution woke est précisément le fait que leurs opposants ne prennent pas au sérieux leur combat, tant leurs revendications peuvent sembler excessives, voire ridicules. En France, on s’amuse beaucoup des déclarations lunaires de Sandrine Rousseau. Mais, pendant ce temps, les wokistes avancent leurs pions.

Avez-vous remarqué que les députés ont respecté une minute de silence en mémoire du jeune Nahel Merzouk, tué alors qu’il défiait les forces de l’ordre, en juin dernier ? C’est la première fois qu’un jeune homme, connu désavantageusement des services de police et mort alors qu’il était en train de commettre un délit, a eu droit aux honneurs de la nation. Pendant ce temps, le policier qui l’a neutralisé croupit en prison, sans même avoir pu se défendre équitablement devant un tribunal. Cette façon d’intervertir les rôles est typique du wokisme : les policiers sont les oppresseurs et les délinquants les opprimés.

Vous connaissez le mot du duc de la Rochefoucauld à Louis XVI, après la prise de la Bastille : « Ce n’est pas une émeute, sire, c’est une révolution. » N’attendons pas que de nouveaux échafauds soient dressés pour réagir !

Pouvez-vous nous donner d’autres exemples de la progression des idées wokes en France ?

Hélas, ce ne sont pas les exemples qui manquent… Je vais vous en donner trois qui montrent bien la pluralité des fronts ouverts par cette révolution. Les élèves de quatrième de l’École alsacienne de Paris se sont vus reprocher en classe leur « transphobie » parce qu’ils refusaient d’admettre qu’un homme puisse être « enceint ». La cuisine française a été accusée – tenez-vous bien – de « blanchité alimentaire » par une chercheuse au CNRS. Le maire de Grenoble a proposé de remplacer Noël, la Pentecôte et l’Ascension par des jours fériés célébrant des « fêtes laïques qui marquent notre attachement commun à la République, aux révolutions, à la Commune, à l’abolition de l’esclavage, aux droits des femmes ou des personnes LGBT. » Vous trouverez bien d’autres exemples dans mon livre qui est en quelque sorte un livre noir du wokisme.

Ces délires trouvent-ils un écho dans l’opinion publique ?

A ce jour, la plupart des Français sourient ou froncent les sourcils quand ils entendent de telles sottises. C’est moins le cas de la jeunesse qui est plus influençable… Je vous donne deux exemples qui valent tous les discours.

Sur TikTok, le réseau préféré des adolescents, les vidéos à propos du style vestimentaire « non-binaire », autrement dit androgyne, cumulent des millions de vues en France. Et le réseau social Yubo, présenté comme un site d’amitié pour les 13-19 ans, a décidé d’intégrer 35 nuances de genres dans son application. Ses membres peuvent ainsi se définir comme « agenre », « polygenre », ou encore « gender questioning » pour les plus indécis…

Les fameuses « marches pour le climat » jettent dans la rue des milliers de lycéens français galvanisés par les « prophéties » apocalyptiques de Greta Thunberg. Ces jeunes n’osent plus prendre l’avion ou manger de la viande, persuadés qu’en agissant de la sorte ils commettraient un crime contre l’environnement.

Pourquoi la jeunesse tombe-t-elle dans le piège ?

Tout simplement parce que les « woke » se font les hérauts de valeurs qui semblent à première vue positives. Ils prétendent que leurs combats sont portés par un désir de justice, d’inclusion, d’empathie. Or, dites-moi, qui ne veut pas d’une société juste et bienveillante ? Bien sûr, vous l’avez compris, tout cela n’est qu’une manipulation et l’ouvrage que j’ai écrit le démontre, faits à l’appui. En réalité, la Révolution woke est un mouvement inédit d’autodestruction, engendré et nourri par la haine de soi.

Comment en sommes-nous arrivés là en France ?

Durant des siècles, la France a été célébrée dans le monde entier comme un modèle. Sa littérature, ses arts, sa langue, sa gastronomie, sa courtoisie étaient admirés et imités d’un bout à l’autre du globe. J’ai grandi au Brésil, à 10 000 kilomètres de la France. Je me souviens combien la France était admirée durant ma jeunesse. Aujourd’hui la France a perdu l’amour pour ses racines chrétiennes qui en faisaient une grande nation admirée et respectée dans le monde. Elle se laisse dépouiller de sa culture, de son héritage, de son identité…

Mais pourquoi les Français ne réagissent-ils pas davantage si c’est leur identité qui est menacée ?

Je crois que l’on peut trouver dans les travaux du politologue Jérôme Fourquet, un début de réponse à cette question. Comme vous le savez, il est un observateur attentif de notre société. Dans son célèbre ouvrage “L'Archipel français”, il défend la thèse selon laquelle il existe une « atomisation » de la société française, une fragmentation, qui trouve son origine dans la disparition de la matrice catholique. Il rappelle, à juste titre, que l’influence du catholicisme en France a été déterminante, et ce, jusqu’aux XIXe et XXe siècles. « Cette matrice constituait le socle invisible ou inconscient de notre société », dit-il. D’après lui, la France chrétienne a maintenant cessé d’exister. Nous sommes dans une ère nouvelle que l’on peut qualifier de postchrétienne.

Quelles sont les signes de cet effondrement ?

Ils sont nombreux, hélas… Le prénom Marie, donné à 22 % aux petites filles en 1900, représente 0,3 % des prénoms des enfants nés en 2016 tandis que les prénoms musulmans, qui n'étaient que 1% en 1970, sont devenus plus de 18% en 2016. Il y a le développement de la pratique de l’incinération. L’Église a constamment dans son histoire recommandé l’inhumation des corps, dans l’attente du jugement et de la résurrection à la fin des temps. Cette attente, cette espérance n’est plus. Alors, on réduit les corps en cendres comme s’ils étaient condamnés au néant pour toujours. Il y a aussi la mode des tatouages : le corps, temple de l’Esprit, est traité comme un matériau dont l’on peut disposer à sa guise. La chute de la pratique religieuse est effarante : en 1961, 35 % des Français étaient messalisants. En 2012, ils étaient 6 %. Et en 2021, tenez-vous bien, seulement 1,2 % ! Pendant ce temps, la morale chrétienne qui a structuré la famille pendant des siècles s’effondre. Sans le christianisme, la France redevient un espace vide, sans âme, un hexagone comme on dit.

Ces changements sociologiques rendent donc la France plus vulnérable ?

Certainement ! Quand on cesse de croire en Dieu, on place toute sa foi en soi-même, en son expérience, en ses convictions. Mais bien vite, les certitudes que l’on a sont ébranlées. Et alors on commence à flancher, à être ballotté par tous les vents. Notre âme devient comme un navire sans pilote. Les vents peuvent nous conduire où ils veulent… Ce qui se passe pour une personne, peut se passer aussi pour une nation. Les Français ne comprennent plus d’où ils viennent, ni ce qu'ils sont. Les mauvais bergers du wokisme peuvent les emmener là où ils veulent.

Quel est l’issue face à cette situation dramatique ?

Le wokisme est le désordre porté à son paroxysme. Tout est mis sens dessus dessous. Il faut donc revenir à l’ordre. Mais pas n’importe quel ordre. L’ordre chrétien, sacral et harmonieusement hiérarchique. Cela tombe bien, car c’est cet ordre qui a fait la grandeur de la France !

Voulez-vous dire qu’il faut retourner au Moyen-Âge ?

D’une certaine façon, oui ! Bien sûr, je simplifie un peu. Il faut reprendre les principes catholiques qui étaient l’âme de la société médiévale, mais on ne revient jamais tout à fait en arrière. Dans le livre "Révolution et Contre-Révolution", le professeur Plinio Corrêa de Oliveira montre clairement que cette époque « n’a pas instauré un ordre quelconque, possible parmi beaucoup d’autres. Elle a réalisé, en des circonstances inhérentes aux époques et aux lieux, le seul ordre authentique pouvant exister entre les hommes, c’est-à-dire la civilisation chrétienne ».

Dans l’encyclique Immortale Dei, Léon XIII décrivit en ces termes la chrétienté médiévale : « Il fut un temps où la philosophie de l’Évangile gouvernait les États. À cette époque, l'influence de la sagesse chrétienne et sa divine vertu pénétraient les lois, les institutions, les mœurs publiques, toutes les classes et toutes les relations de la société civile ».

Bref, cette époque était celle de la Chrétienté et c’est en cela qu’elle doit nous inspirer aujourd’hui. Pour le Français médiéval, l’Église était sa mère. Elle était la seule et véritable Église voulue par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Elle possédait en plénitude le dépôt de la foi. Toute vie individuelle, sociale et familiale était orientée vers l’accomplissement du salut. L’État savait que sa fonction première était de favoriser le salut des hommes et ses lois devaient être conformes au Décalogue. Nul ne songeait à se rebeller contre l’ordre voulu par Dieu. Aujourd’hui, la France se trouve comme Clovis face à saint Rémy : si elle veut conjurer les ténèbres de la barbarie, elle doit à nouveau brûler ce qu’elle a adoré et adorer ce qu’elle a brûlé.

Propos recueillis par Antoine Béllion