
Photo : Image par Jan de Pixabay
Petits écrans, grands dégâts : l’école maternelle s’effondre dans l’indifférence
En France, la maison Éducation brûle, et nous regardons ailleurs. La situation est grave, mais elle se déroule dans un silence assourdissant, comme si l’effondrement de notre école, pourtant si cher au cœur de la République, n’était qu’un phénomène parmi d’autres, sans urgence, sans gravité.
Le rapport accablant publié par la Cour des comptes le 20 mai dernier tire pourtant une sonnette d’alarme que trop peu semblent entendre : l’école primaire est en situation d’échec, et cela malgré une explosion des moyens. Des milliards ont été investis, année après année, dans la formation, les infrastructures, les ressources pédagogiques. Et pourtant, les résultats ne suivent pas. Pire : ils reculent. Le niveau des élèves s’effondre, inexorablement.
Les chiffres font froid dans le dos. L’enquête Pisa 2023 révèle que les élèves français de 15 ans ont perdu 21 points en mathématiques depuis 2018. La France glisse sous la moyenne OCDE, elle qui se voulait phare intellectuel, patrie de Descartes et de Jules Ferry. Mais ce n’est là que la pointe émergée de l’iceberg. L’étude Timss 2024, encore plus alarmante, montre que nos élèves de CM1 – à peine âgés de neuf ou dix ans – sont désormais les derniers… en Europe. Derniers ! Et ce recul ne commence pas en primaire, mais bien plus tôt. Car c’est dès la maternelle que la fracture se creuse, discrète mais profonde.
Dans les salles de classe, les enseignants voient, jour après jour, les signaux d’une dégradation lente mais irréversible. Ils décrivent des enfants de plus en plus agités, instables, incapables de fixer leur attention plus de quelques instants. Des enfants "volatils", qui ne tiennent pas en place, qui ne savent plus écouter, ni se concentrer, ni entrer dans l’effort. Leur niveau de langage s’effondre. Leurs gestes sont nerveux, leurs regards fuyants. Ils semblent déjà ailleurs. Comme si une partie de leur enfance leur avait été volée, ou plutôt, confisquée. Et ce phénomène, loin d’être marginal, touche toutes les classes sociales, toutes les régions. Une réalité inquiétante, désormais impossible à nier. Quelque chose est en train de casser dans l’enfance française.
Et cette chose porte un nom : l’écran. L’omniprésence du numérique dans la vie des tout-petits est devenue un fait social majeur, une évidence presque banale, tant elle s’est imposée rapidement. Les chiffres sont terrifiants : 75 % des enfants en petite section utilisent des écrans de manière régulière. 45 % d’entre eux disposent d’un accès personnel. Et 15 % possèdent déjà leur propre tablette. À trois ans. Trois ans ! Ce ne sont plus des exceptions, ce sont des normes.
Des enseignants racontent, atterrés, qu’un élève leur a demandé une "tablette" au lieu d’une ardoise. Qu’un autre "scrollait" machinalement sur les pages d’un livre, comme s’il manipulait un téléphone. Ces scènes, qui prêtaient à sourire hier, suscitent aujourd’hui une profonde inquiétude. Car elles révèlent un basculement du rapport à la réalité, au temps, à l’effort.
Et les conséquences sont là, mesurables, quantifiables. Les enfants qui jouent à des jeux vidéo dès la maternelle présentent des résultats significativement inférieurs en langage et en mathématiques. Le lien est établi. L’éducation recule, l’hyperconnexion avance. Et l’écart se creuse, de plus en plus tôt, avec des effets aggravés par les inégalités sociales. Ainsi, 21 % des enfants d’ouvriers qualifiés possèdent une tablette, contre 7 % des enfants de cadres. Ceux qui auraient le plus besoin de langage, de structure, de contact humain, sont trop souvent livrés à des écrans froids et impitoyables.
Mais l’effondrement ne se limite pas aux apprentissages. Il touche aussi, et peut-être plus encore, à l’autorité. Car une autre alerte, tout aussi grave, monte des écoles : la montée de l’agressivité dès la maternelle. La médiatrice de l’Éducation nationale, Catherine Bechetti-Bizot, évoque une "violence ordinaire" de plus en plus fréquente.
Les enseignants perdent le contrôle. Ils sont seuls, abandonnés, souvent impuissants face à des comportements qu’ils ne parviennent plus à canaliser. Les parents, eux, peinent à fixer des règles, à poser des limites. Une institutrice l’avoue simplement : "Les parents n’imposent plus de cadre." L’école, en perdant son autorité naturelle, devient un champ de tension permanente.
La pédopsychiatre Gisèle Apter le rappelle avec justesse : "Il faut pouvoir patienter, rester assis sur sa chaise, pour accéder à l’apprentissage." Mais nos enfants, nourris dès le berceau à l’immédiateté numérique, à l’agitation constante, n’y arrivent plus. Ils ne savent plus attendre, ils ne supportent plus la frustration, ils ne tolèrent plus l’effort. Et sans effort, sans attention, sans silence, aucune transmission n’est possible. C’est toute la chaîne éducative qui s’effondre, emportée par un mode de vie qui isole, surexcite, fragilise.
Nous sommes aujourd’hui face à une crise éducative d’une profondeur inédite. Elle est silencieuse, rampante, presque invisible pour ceux qui ne veulent pas voir. Mais elle est dévastatrice. L’école maternelle, autrefois fierté française, s’effondre sous nos yeux. Et personne ne crie. Personne ne se lève. Tout se passe comme si ce désastre ne concernait personne. Comme si l’enfance française n’était plus un trésor à protéger, mais une variable d’ajustement dans une société ivre de modernité.
Combien d’années encore avant que les dégâts deviennent irréversibles ? Combien d’enfants sacrifiés sur l’autel d’un progrès mal compris, d’un confort mal orienté ? Il est encore temps de réagir. Mais pour cela, il faut ouvrir les yeux. Il faut du courage. De la lucidité. Et un amour profond pour les enfants de France. Avant qu’il ne soit trop tard.
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